Considérons les fonds activistes comme des lanceurs d’alerte
Est-ce parce que certaines entreprises françaises symboliques sont sur la sellette que resurgissent tout à coup les réflexes du capitalisme à l’ancienne ? Toujours est-il que nous avons été très étonnées de lire dans la presse récemment [L’Agefi Quotidien du 16/10/2018], qu’une administratrice aussi expérimentée qu’Agnès Touraine, la présidente de l’IFA [Institut français des administrateurs], se permettait de nous assimiler, nous les fonds activistes, à des perturbateurs dont le seul objectif serait de « déstabiliser » des entreprises dans le but de faire de gros profits.
Or, si les fonds activistes présentent des profils divers, il faut tout de même rappeler que leurs campagnes sont toujours fondées sur des manquements de leurs cibles ; soit aux règles de gouvernance, soit aux droits des actionnaires minoritaires, voire parfois au droit tout court. Ainsi, CIAM est devenu activiste par nécessité et se focalise sur la gouvernance d’entreprise. Parce que gouvernance rime avec efficience. CIAM est un actionnaire engagé, participe aux assemblées générales et détient ses participations en moyenne quinze mois, ce qui est bien au-delà de la moyenne des autres actionnaires. De plus, notre objectif est plutôt de faire monter le cours de Bourse de nos positions que de le faire baisser.
Procès d’intention
Alors, pourquoi un tel procès d’intention à l’égard des activistes ? Probablement parce que l’activiste bouscule les belles – ou moins belles – endormies qui ont oublié lesdits principes de gouvernance. Parfois, le réveil est brutal.
La réalité, c’est aussi que la France n’est pas, loin de là, championne du monde de la gouvernance : les règles y sont souvent bafouées, notamment celles concernant les administrateurs indépendants, les rémunérations des dirigeants, les droits de vote, etc. Or justement, n’en déplaise à Agnès Touraine, l’activiste peut être un soutien précieux aux administrateurs indépendants. Il est tout d’abord un actionnaire courageux, qui monte au créneau pour s’opposer à des décisions qui lui paraissent contraires à ses intérêts de minoritaire. Si la société est prospère et fait de bons choix, la répercussion sera positive sur tous : l’entreprise, ses salariés, ses actionnaires.
Dans le cas de SFR, CIAM est intervenu en 2016-2017 pour éviter que ne soient prélevés des frais de gestion (entre 2 % et 3 % du CA, pour rémunérer le « savoir-faire d’Altice ») parce que cela nous a paru indécent et contraire à la pratique de Place. Un « Altice way » dont les actionnaires d’Altice ont pu goûter les effets peu de temps après… Rappelons aussi qu’en 2017, lors du retrait d’Euro Disney de la cote, CIAM a obtenu de la part du groupe Walt Disney qu’il améliore de 65 % la valeur de l’offre de rachat de sa filiale européenne. Euro Disney ayant été grossièrement sous-évalué en raison de transferts intragroupes colossaux. Tout cela a bel et bien bénéficié à l’ensemble des actionnaires minoritaires.
Est-il normal qu’il existe des transferts d’argent massifs entre filiales, qui appauvrissent l’une au bénéfice de l’autre ? Evidemment non. Est-il sain qu’une société utilise des cascades de holdings pour s’endetter excessivement, à ses risques et périls ? Nous pensons que non. La liste est très longue des abus de gestion et de gouvernance que peuvent dénoncer des fonds « engagés » comme le nôtre, surtout quand les administrateurs (plus ou moins) indépendants se taisent. La vision de l’activiste suscite souvent les bons débats.
Concernant l’offre de Covéa sur Scor, CIAM n’a jamais « exigé que cette offre soit acceptée », contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là. Nous avons demandé, en tant qu’actionnaire à 0,77 % (ce qui nous place parmi les 20 principaux actionnaires de Scor), qu’elle soit examinée dans ses détails, ce qui – nous le maintenons – n’a pas été le cas. Nous soutenons aussi qu’il y a d’autres points de gouvernance qui posent problème chez Scor, comme l’absence d’un plan de succession pour son omnipotent PDG ou le manque de véritable indépendance de la plupart des membres du conseil d’administration.
Voilà pourquoi, au lieu de considérer les activistes comme des « perturbateurs », l’IFA et les autres acteurs du marché devraient plutôt les reconnaître comme des lanceurs d’alerte susceptibles de corriger les abus et conflits d’intérêts encore trop présents au sein des entreprises françaises.
Catherine Berjal et Anne-Sophie d’Andlau, cofondatrices de CIAM